Fondement et caractère
La loi du 18 juin 2018 a modifié l’intitulé du titre II du chapitre premier du Code judiciaire consacré à « l’instruction et au jugement de la demande » de telle manière qu’il règle, pour l’heure, « les modes amiables de résolution des litiges ». Après avoir mis en exergue que « le juge favorise en tout état de la procédure un[1] mode de résolution amiable des litige »[2] et après avoir organisé une possible comparution personnelle des parties[3], les articles 731 à 734 du Code judiciaire traitent spécifiquement de la conciliation. Bon nombre d’autres dispositions organisent un recours facultatif[4] ou obligatoire à ce M.A.R.C[5]. En tous les cas, les parties peuvent contractuellement convenir d’un recours à la conciliation (clause dite de conciliation et application du principe de la convention-loi[6]).
Intervention potentielle d’un ou plusieurs tiers
La conciliation n’implique pas nécessairement le recours aux services d’un ou plusieurs tiers. Autrement dit, les parties peuvent tenter de se concilier, c’est-à-dire négocier directement entre elles, en l’absence de tiers. L’article 731 du Code judiciaire précise qu’ « il entre dans la mission du juge de concilier les parties ». Le fait que « le rôle de conciliateur est inhérent à la fonction du juge »[7] n’exclut en rien l’intervention éventuelle d’autres tiers conciliateurs. Ainsi, relevons, entre autres, que concilier est la seconde mission essentielle de l’avocat[8] et que l’article 977, §1er, du Code judiciaire impose à tout expert judiciaire de tenter de concilier les parties[9]. A de très rares exceptions près[10], le droit belge n’impose généralement pas de formation minimale pour intervenir en tant que tiers conciliateur. Nous ne pouvons toutefois que nous réjouir que certains cours soient consacrés à cette matière dans le cadre de certaines formations, telles celles à l’attention des experts judiciaires[11] et magistrats[12]. Les exigences minimales à respecter par le tiers conciliateur varie suivant sa fonction et sa profession. Ainsi, le juge conciliateur se doit de présenter des garanties minimales d’indépendance et d’impartialité.
Rares sont les cas où la confidentialité est légalement organisée
A titre exceptionnel, la loi confère un caractère confidentiel à certaines formes de conciliation. Il en va ainsi, entre autres, en ce qui concerne tout ce qui se dit ou s’écrit au cours des audiences de règlement amiable au sein du tribunal de la famille[13]. Autrement dit, si la loi ne consacre pas expressément le caractère confidentiel d’une forme spécifique de conciliation, celle-ci n’est pas confidentielle. En pareil cas, tout ce qui s’échange, se dit ou s’écrit lors d’une telle conciliation pourra être porté à la connaissance des tiers. Ce qui expose la partie qui a divulgué des informations sensibles à cette occasion à divers risques non négligeables, au rang desquels figurent par exemple une décision judiciaire défavorable, une pertes d’allocations de remplacement de revenus, un « redressement » fiscal, des poursuites pénales, etc. Ceci étant dit, les parties peuvent s’accorder expressément sur le caractère confidentiel de la conciliation. En pareil cas, elles veilleront à se prémunir la preuve écrite d’un tel accord de confidentialité, qui fera loi entre les parties[14]. Afin d’assurer le respect d’un tel accord, les parties ne manqueront pas de prévoir, d’une part, à ce qu’il soit particulièrement détaillé et, d’autre part, l’une ou l’autre sanction en cas de violation de l’obligation de confidentialité. A cet égard, elles peuvent s’inspirer, entre autres, des termes de l’article 1728 du Code judiciaire (qui concerne la médiation et) qui prévoit non seulement des sanctions financières, mais aussi l’écartement des documents communiqués ou invoqués en violation de l’obligation de confidentialité.
Éventuel pouvoir décisionnel du tiers conciliateur sur l’issue du différend et exécution forcée
Dans l’hypothèse où la conciliation intervient sous l’égide d’un ou plusieurs tiers, rares sont les hypothèses où le droit belge exclut tout pouvoir décisionnel dans le chef de ce(s) tiers pour trancher le ou les points litigieux qui n’auraient pas été réglés amiablement. Ce principe est néanmoins consacré en matière de conciliation menée par les chambres de règlement amiable en matière familial (C.R.A. en abrégé)[15]. Nous sommes convaincu de longue date que le législateur devrait étendre ce principe à toute conciliation menée par un juge de telle manière qu’il ne pourrait en aucun cas connaître du dossier au fond dans l’hypothèse où la conciliation qu’il a menée n’aboutirait à aucun accord réglant tous les points en litige. Cette possible réforme législative aurait le mérite de donner aux parties le pouvoir de négocier en toute liberté et de manière raisonnée, et ce à tout le moins sans crainte d’une décision ultérieure défavorable émanant du conciliateur. Elle pourrait être l’occasion de débattre à nouveau au parlement de la possibilité de créer des chambres de règlement amiable au sein de toutes les juridictions de fond[16].
L’accord de conciliation peut revêtir diverses formes. Il peut être conclu sous seing privé. Dans ce cas, il ne sera pas exécutoire en lui-même. Autrement dit, en cas de litige lié à la validité, la formation, l’interprétation, l’exécution ou la rupture du contrat[17], une procédure judiciaire s’avèrera souvent incontournable. Lorsque la conciliation prend la forme d’un acte authentique, le contrat a force exécutoire. Ce qui n’exclut, en pratique, pas un débat contentieux ultérieur préalablement à une éventuelle exécution forcée. Lorsque l’accord de conciliation est conclu dans le cadre d’une conciliation judiciaire, il prend la forme soit d’un procès-verbal de conciliation qui en constate les termes, soit d’un jugement d’accord au sens de l’article 1043 du Code judiciaire. Dans les deux cas, l’expédition (de ce P.V., de ce jugement ou de cet arrêt) est revêtue de la formule exécutoire. Ce qui permet donc l’exécution forcée de l’accord.
Coûts éventuels
La conciliation menée sous l’égide d’un juge relève du service public de la Justice de telle manière qu’elle est, en principe, gracieuse pour les parties. Ce qui représente un avantage non négligeable pour celles-ci. A l’inverse, les autres formes de conciliation impliquant l’intervention d’un tiers sont, en principe, onéreuses. C’est notamment le cas des tentatives de conciliation menées par les experts judiciaires en application de l’article 977, §1er, du Code judiciaire, ainsi que celles qui interviennent à l’initiative des seuls avocats. En pareil cas, la question de la prise en charge définitive des coûts de la conciliation doit faire l’objet d’une négociation contractuelle. A défaut d’accord, cette problématique relèvera dans certains cas (par exemple lorsqu’il est question d’une tentative de conciliation en expertise judiciaire[18]) du sort des dépens de l’instance. A ce dernier égard, l’article 1017, alinéa premier in fine, du Code judiciaire précise que « toutefois, les frais inutiles, y compris l’indemnité de procédure visée à l’article 1022, sont mis à charge, même d’office, de la partie qui les a causés fautivement ». Autrement dit, une partie qui obtient gain de cause en procédure judiciaire alors qu’elle a causé fautivement des frais inutiles tels que des frais d’expertise pourrait se voir condamnée à payer les coûts de cette expertise (tentative de conciliation incluse). Ce que bon nombre de praticiens semblent encore ignorer. Rappelons, par ailleurs, que les coûts liés à certaines formes de conciliation peuvent être totalement ou partiellement pris en charge par un tiers tel, par exemple, qu’une assurance protection juridique.
Définition
La conciliation peut se définir succinctement comme étant un processus de concertation grâce auquel les parties entre lesquelles il existe un différend s’entendent, soit directement, soit par l’entremise d’un tiers, pour y mettre un terme, en principe par le biais de concessions réciproques[19].
[1] C’est nous qui soulignons.
[2] Il eut été préférable de prévoir que « le juge favorise en tout état de la procédure le recours à un ou plusieurs modes de résolution amiable des litige ».
[3] C. jud., art. 731/1.
[4] Voy. not. C. jud., art. 1253ter/1, §3, qui prévoit qu’« en matière familiale, les affaires peuvent être soumises à fin de conciliation à la chambre de règlement à l’amiable du tribunal de la famille ou des chambres famille de la cour d’appel » ; ainsi que l’article I.3-12, al. 1, 3°, du Code du bien-être au travail (du 28 avril 2017, M.B., 2 juin 2017, pp. 60905 et s.) énonce que « l’intervention psychosociale informelle consiste en la recherche d’une solution de manière informelle par le demandeur et la personne de confiance ou le conseiller en prévention aspects psychosociaux par le biais, notamment : (…) une conciliation entre les personnes impliquées moyennant leur accord (…) ».
[5] En sus de l’article 734 du Code judiciaire (préalable obligatoire de conciliation pour certaines demandes relevant de la compétence du tribunal du travail, par exemple en cas de litige entre travailleurs salariés né à l’occasion du travail) et en application de l’article 731, al. 3, du Code judiciaire, voy. not. C.jud., art. 1345 (préalable obligatoire de conciliation en matière de bail à ferme), ainsi que les articles 26 et 27 du décret régional wallon relatif à la procédure d’expropriation du 22 novembre 2018 (M.B., 18 décembre 2018, pp. 100266 et s. , qui organise une tentative obligatoire de cession amiable, qui peut se limiter « à l’envoi par l’expropriant d’une offre de cession des droits visés dans l’arrêté d’expropriation, laquelle contient » certaines mentions obligatoires, et ce sous peine d’irrecevabilité de la requête en expropriation).
[6] C. civ., art. 1134.
[7] Conseil supérieur de la justice, « Avis relatif à l’avant-projet de loi modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne la procédure », approuvé lors de l’assemblée générale du 9 octobre 2002, p. 34 (https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjcrZOnt63wAhUC-qQKHe3kCvMQFjAEegQIChAD&url=https%3A%2F%2Fcsj.be%2Fadmin%2Fstorage%2Fhrj%2Fa0014f.pdf&usg=AOvVaw1maourc31-TK6ILnSPIzu3).
[8] Comme le rappelle, très justement, le premier considérant de la recommandation d’AVOCATS.BE du 9 mai 2005 en matière de médiation. Pour l’heure, cette dernière est toujours intégralement reproduite dans le Code de déontologie d’AVOCATS.BE tel qu’en vigueur au 1er mai 2021 (p. 85 ; https://avocats.be/sites/default/files/01.05.2021%20Code%20d%C3%A9ontologie%20version%20fran%C3%A7aise%20-%20en%20vigueur%20au%2001.05.2021.pdf)
[9] Cette disposition n’impose nullement que cette tentative de conciliation intervienne nécessairement après que l’expert ait communiqué ses constatations et avis provisoire conformément au prescrit de l’article 976 du Code judiciaire.
[10] Voy. not. l’article 78, al. 8., du Code judiciaire qui prévoit que « Chaque chambre de règlement à l’amiable est composée d’un juge unique ayant suivi la formation spécialisée dispensée par l’Institut de formation judiciaire ».
[11] Voy., entre autres, le cours « pratique de la gestion des conflits en expertise judiciaire » que nous dispensons au sein du certificat interuniversitaire « Expertise judiciaire – spécialisation en expertise immobilière ».
[12] Voy. not. le cursus « Médiation, conciliation et autres formes alternatives de résolution de litiges » dispensé par l’Institut de Formation Judiciaire (I.F.J. en abrégé), dont l’accès n’est nullement restreint aux seuls juges siégeant, ou susceptibles de siéger, dans une C.R.A.
[13] C. jud., art. 1253ter, §3, al. 6. Cette disposition n’exclut cependant pas l’application de l’article 29 du Code d’instruction criminelle qui prévoit, pour l’heure, que « Toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public et, pour le secteur des prestations familiales, toute institution coopérante au sens de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l’assuré social qui, dans l’exercice de ses fonctions acquerra la connaissance d’un crime ou d’un délit, sera tenu de donner avis sur-le-champ au procureur du Roi près le tribunal dans le ressort duquel ce crime ou ce délit aura été commis ou dans lequel l’inculpé pourrait être trouvé, et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Cette obligation de dénonciation, qui pèse notamment sur les juges, restreint très sérieusement la confidentialité telle que consacrée par l’article 1253ter, §3, al. 6, du Code judiciaire.
[14] C. civ., art. 1134.
[15] L’article 79, alinéa 8, du Code judiciaire prévoit que « toutefois, le juge qui siège à la chambre de règlement à l’amiable ne peut jamais siéger, pour les dossiers dont il a pris connaissance, dans les autres chambres du tribunal de la famille et de la jeunesse. Sauf s’il s’agit de l’homologation d’un accord ou d’un procès-verbal de conciliation, la décision rendue par un juge ayant auparavant connu du litige alors qu’il siégeait dans une chambre de règlement à l’amiable, est nulle ».
[16] Ce qui a déjà été politiquement exclu lors de précédentes législatures. A titre d’exemple, rappelons la proposition de loi déposée au Sénat le 31 janvier 2012, par Madame Martine TAELEMAN, qui visait à instaurer « une chambre de conciliation », notamment au sein de chaque tribunal de première instance, qui devait avoir pour « mission de fournir des informations concernant le renvoi en médiation, de tenter de concilier les parties, de renvoyer, le cas échéant, les parties et de suivre les médiations » (Doc. Parl. , Sén., session 2011-2012, n° 5/1457-1). Sous réserve d’amender cette proposition en ce qu’elle opérait une confusion entre différents M.A.R.C., nous sommes partisans de l’adoption de pareil réforme de longue date (voy not. P.-P. Renson, « Les avocats et la médiation civile », in X, L’avocat au parlement : enjeux et perspectives de demain, Limal, Anthemis, Bruges, La Charte, 2013, pp. 371 à 390, spéc. n° 3).
[17] Et en l’absence d’une clause contractuelle de règlement amiable ou alternatif du différend.
[18] C. jud., art. 1018, al. 1, 4°.
[19] P.-P. RENSON, « Initiation aux principaux modes alternatifs de règlement des conflits : découvrir ou approfondir sans confondre », in X, Les alternatives au(x) procès classique(s), Limal, Anthemis, 2021, pp. 7 à 35, spéc. n° 19.